Axelle bonjour ! Artiste engagée et militante humaniste, vous êtes également Ambassadrice de l’UNICEF depuis 1997. Vous ne passez pas une année sans vous déplacer personnellement dans les pays sensibles (Cambodge, Vietnam, Congo, Niger, Sri Lanka, Sénégal, Sierra Léone …). Constater, Dénoncer, Défendre… quelle est l’action la plus périlleuse que vous devez affronter lors de ces diverses campagnes ?
Le plus dur est : « digérer », « comprendre », « accepter ». Accepter que les choses ne changent pas aussi vite qu’on voudrait. L’impuissance est un mal qui me ronge. Apprendre à relativiser est-ce vraiment possible lorsque toutes ces images vous hantent ? … Je discutais récemment avec un médecin qui me confia ne plus avoir la force et le courage d’être à l’écoute de tous ces témoignages. Il soigne les blessures, les mutilations physiques des patients mais n’a pas la capacité de soulager leurs maux. Mettre des mots sur la douleur n’est pas forcément recevable, car cela devient trop violent.
L’Asie est un pays qui vous fascine depuis des années. Vous partez à la rencontre de femmes et d’enfants soumis en permanence à la violence, à la discrimination, à la prostitution et à la pauvreté. Quelle est votre fonction principale lors de vos interventions ?
En tant qu’ambassadrice de l’Unicef, je me dois de témoigner, d’apporter un message positif afin d’obtenir des dons pour financer et concrétiser tous ces projets en cours.
Lors de mes déplacements, je demande à rencontrer les femmes et les enfants du pays. Je les écoute attentivement et ils attendent en retour une aide concrète qui les sortirait de leurs conditions de vie inhumaines. Je m’adresse ensuite aux hommes, aux responsables, aux chefs de tribu et à travers mon témoignage, je tente de les sensibiliser. J’ai appris, durant toutes ces années, à relativiser les faits face à ces gens qui gouvernent, car ils ne mesurent pas toujours l’urgence et la véracité de mes propos. J’oscille en permanence entre illusion et déception. J’aimerais tant les sortir de leurs conditions… Mais pas dans 3 mois ou 6 mois… Tout de suite !
Votre album Face A/Face B (2002) était le plus engagé de tous, puisqu’ils traitaient d’extrémisme, d’antimondialisation, de mines antipersonnel, de drogues, d’enfants soldats… Toutes ces images que vous aviez ramenées de vos nombreux voyages et que vous vouliez partager avec votre public… Il semble vous avoir boudé, comment expliquez-vous leurs réactions ?
Non, sincèrement, l’album le plus engagé de tous est « Jardin secret ». Je l’ai écrit dans l’utopie. Puis au fil du temps, les mots ont résonné plus fort, plus vrais. J’y dénonce les violences sexuelles dans un témoignage que j’ai voulu « musical ».
Après la sortie du double CD, j’ai rédigé durant un an toutes ces souffrances visualisées durant mes nombreux voyages. Le résultat ne m’a pas convaincu car les mots résonnaient au plus profond de mon être, et bien que tous les thèmes soient abordés, mon ouvrage ressemble plus à une thèse qu’à un témoignage. J’ai donc abandonné le projet, et j’ai repris ma guitare.
Votre duo avec Renaud Manhattan-Kaboul vous honora d’un NRJ Music Award au Midem de Cannes, en 2003. Renaud se laisse aujourd’hui emporter dans cette spirale infernale qu’est la dépression. Cette impuissance face à la maladie n’est-elle pas aussi frustrante que lors de vos nombreux investissements personnels pour l’Unicef, qui se retrouvent confrontés à des moulins à vents ?
Renaud est un ami. Lui, je le connais plus que tous les êtres que je rencontre et pour qui je défends la cause. Renaud, c’est une personne forte et fragile à la fois, mais qui ressuscite à chaque épreuve. Alors, j’ai confiance même si je me sens également impuissante face à ce mal qui le ronge.
De toutes les récompenses et distinctions que vous ayez reçues, quelle est celle qui vous a le plus honorée ? (Victoires de la Musique, NRJ Music Awards, Chevalier de l’ordre national des Arts et des Lettres en France, Commandeur de l’ordre de la Couronne de Belgique, Straffe Madam’2007 en Belgique, Meilleure Chanteuse belge, Docteur Honoris Causa de l’Université d’Hasselt, Meilleure artiste de variété de Gouden Klaproos)
Bien sûr que je suis toujours très honorée de recevoir une distinction humanitaire, même si je préférerais que les projets aboutissent avant de me remercier. J’aimerais que les causes pour lesquelles je lutte soient résolues avant de recevoir un signe distinctif, comme celui de Docteur Honoris Cause de l’Université de Hasselt. Ces récompenses me laissent un goût amer !
Un Cœur comme le mien est un titre qui vous résume fort bien sur le plan humanitaire, non ? Que ressentez-vous à la sortie de chaque nouvel album ?
Je suis très fière. Un album comprend un visuel et un auditif. Je travaille toujours sur toutes ces facettes, jusqu’au moindre détail. La blouse que je porte sur la couverture de l’album a été créée spécialement à ma demande pour la pochette du CD. Je me demande toujours si les gens vont l’apprécier, s’ils vont décrypter les différents messages que je transmets au gré de mes chansons.
La réussite d’un album ne dépend pas que de nous. Il faut savoir également qu’entre les artistes et le public, il y a un filtre appelé « médias » dont nous sommes très dépendants.
L’Americana (mélange de soul, folk et country) qui émane de vos titres vous colle véritablement à la peau, tel un vêtement conçu spécialement pour vous. Dans quel état d’esprit a été conçu cet album ?
C’est un album différent des précédents, car j’ai volontairement pris de la distance par rapport aux causes que je défends. Ce n’est plus l’artiste humanitaire, mais l’artiste musicienne qui a composé ses chansons à la guitare, en version « troubadour ».
Vos duos avec Christophe Miossec et Stéphane Eicher étaient-ils prémédités ou se sont-ils imposés durant votre collaboration ?
Le titre « Entre Nous » s’est imposé comme une évidence, même le titre nous suggérait de l’interpréter en duo.
Avec Stéphane, ce fut différent ! Amis de longue date, alors que nous passions quelques jours de vacances en famille chez lui, nous nous sommes lancés lors d’une soirée (de façon totalement imprévue) à écrire 10 chansons. On a beaucoup ri. À aucun moment nous n’avions projeté de travailler ensemble. Une chanson folk nous a réunis et voilà !
Vous avez repris « Melocoton » interprété dans les années 60 par Colette Magny. Etrange ce choix, non ?… Pourquoi ce titre ?
Durant mes recherches sur Internet, j’ai découvert Colette Magny, une femme courageuse qui menait à l’époque les mêmes combats humanitaires que les miens. Une femme qui parle : ça dérange. En chanson, c’est moins violent ! J’ai aimé Melocoton et son texte intemporel, mais par respect pour Colette Magny, je l’ai adapté différemment.
Vous venez de signer chez Naïve (un label indépendant) alors que vous étiez chez Virgin depuis des années. Un choix personnel ?
Absolument. Lorsque j’ai signé avec Virgin, il fonctionnait déjà comme un label indépendant, mais lors de son rachat, la nouvelle philosophie que venait d’adopter Virgin n’était plus vraiment en phase avec la mienne. Il faut savoir que le fondateur de Naïve est issu de Virgin, j’ai ainsi retrouvé mon mode de fonctionnement.
Nombreux sommes-nous à attendre votre tournée en France ! À quand les premières dates ?
Très bientôt, c’est promis ! Après le Casino de Paris fixé au 28 novembre, j’entamerai une tournée à travers toute la France. J’aime me produire dans votre pays, je m’y sens bien !
Axelle Red : chanteuse engagée, militante pour les droits de l’homme, … Mais Axelle maman c’est… copine/copine, protection rapprochée, ou un tendre mixage de tendresse et d’autorité ?
Je gère ma carrière en fonction de mes enfants. Oui, je suis une mère poule. Nous vivons dans une ferme, à dix minutes du centre-ville, où j’ai aménagé mon studio. Je peux donc leur consacrer tout mon temps. Je veux et je tiens à inculquer à mes filles, en priorité, le respect et l’empathie. Vous pouvez être polis sans être respectueux, alors à quoi bon ! La discipline chez nous n’est pas vraiment de mise. Je tiens à ce qu’elles s’expriment à travers diverses activités : dessins, piano, danse, …
Et pour terminer une petite anecdote… Il est dit que vous avez appris le Français en regardant les films de Louis de Funès. Vrai ou Faux ?
Cette question me fait rire à chaque fois. Oui, c’est vrai. Lorsque j’avais 5 ans, nous regardions à la télé les films de Louis de Funès. Je riais énormément, comme tous les enfants. Et puis reconnaissez-le, il est plus ludique d’apprendre le Français avec Louis de Funès, qu’avec Baudelaire, non ?…