Alors tout d’abord, qu’est ce que la mode pour vous ?
La mode c’est l’hystérie, le léger, le futile, le sens, le non-sens, la fureur de vivre, l’inconscience de tout, l’égoïsme, la futilité, la conscience de tout, l’énergie constamment renouvelée, la narration, l’oubli et la mémoire, c’est un sacré moteur et un sacré révélateur.
Comment vous est venu ce choix de travailler dans ce domaine en particulier ?
Je ne sais même pas si c’était un choix. C’était une évidence. Je me suis retrouvé plusieurs fois dans des situations de journalisme « dur », c’est-à-dire du vrai reportage sur des vrais sujets. Et cela m’a intéressé mais pas autant que le théâtre de la mode.La violence en tout cas je ne sais pas la filmer. Le 11 septembre j’étais sur le toit d’un immeuble là bas et impossible de lever un objectif sur ce qui s’écroulait devant moi. La mode c’est mon kif.
Quel a été votre parcours scolaire, et à quel métier vous destiniez-vous quand vous étiez plus jeune ?
Je voulais être dans la presse. Je faisais des fanzines à 12 ans. Le graphisme des journaux me rendait fou. J’adorais la typo, la mise en page, ces choses-là.
Votre documentaire Signé Chanel date déjà de 2005. Depuis vous avez enchaîné les projets. La mode se renouvelle-t-elle assez pour que vous ayez toujours de nouvelles choses à proposer ?
Je crois que je pourrais retourner aujourd’hui le documentaire sur Marc Jacobs et Louis Vuitton et l’on obtiendrait quelque chose de complètement différent. Parce que sa vision évolue tellement et que chaque collection est un parcours différent avec des affects différents. Et aussi parce que le documentaire ne saisissait qu’une part très infime de son processus créatif. Pour Signé Chanel c’est une autre histoire parce que le processus Haute Couture ne change pas vraiment, il est plutôt immuable et ce que j’ai capté me paraît assez fidèle. Je crois que la maison Chanel continue à ce jour d’utiliser le documentaire pour les nouveaux arrivants.
Ensuite oui, la mode se renouvelle assez pour la suivre chaque saison. Chaque saison je vois des choses nouvelles que je ne connaissais pas. Chaque saison de nouveaux personnages font irruption. Chaque saison un nouveau tic, une nouvelle folie. Et parfois aussi il y a le coup de pouce qui permet de filmer par miracle quelque chose qui n’avait pas encore été (trop) filmé.
Quelles sont les rencontres qui vous ont le plus marqué ?
J’imagine que la question ne concerne pas mon grand père génial qui tutoyait tout le monde mais le milieu que je filme régulièrement. Les créateurs bien sûr, mais aussi les premières mains et aussi pas mal d’attachés de presse franchement incroyables. En ce moment je filme un président de maison de mode qui est assez fascinant.
En fait, j’adore filmer les gens tout court. Je ne sais pas si ce sont des rencontres parce qu’avoir une caméra entre les mains fausse pas mal les rapports. Disons que j’observe plus que je rencontre.
Votre série de documentaires Le jour d’avant a connu un grand succès. Vous avez préparez dernièrement la suite. Pouvez-vous nous en dire plus ?
La seconde saison du Jour d’Avant comporte six épisodes américains de 26 minutes, le format sitcom. Les héros sont Alexander Wang, Jeremy Scott, Nina Ricci, Diane Von Furstenberg, Donatella Versace et Narciso Rodriguez.
Ils ont été diffusés sur Sundance Channel aux Etats-Unis et Arte va émettre au printemps une version 52 minutes de Diane Von Furstenberg et de Donatella Versace. L’idée est la même, les portes sont ouvertes sans limite pendant les 24 heures avant le défilé.
Paris Première, Stylia, ARTE, Deralf, Story box Press, vos divers documentaires… Comment gérez-vous tous ces projets ? Le dénominateur commun étant toujours la mode, est-ce que parfois certains sujets n’empiètent pas les uns sur les autres ?
A priori les choses ne s’empiètent pas trop. Sur chaque projet on essaie de définir un style ou un ton, une dramaturgie ou un rythme.
Quel est au jour d’aujourd’hui, le projet dont vous êtes le plus fier ?
J’aime bien Signé Chanel. C’est le projet qui a fait que mes parents ont compris ce que j’essayais de faire.
Comment s’est passée l’exposition L’homme par Loïc Prigent qui s’est tenue dernièrement au Bon Marché à Paris ? Comment est né ce projet ?
Mon ami d’enfance Gildas Loaec travaille sur le projet Kitsuné, il m’a donc présenté à Frédéric Bodenes, le directeur artistique du Bon Marché, qui m’a tout de suite proposé une collaboration. Cela s’est fait très vite, en deux réunions nous avions défini l’idée et ils avaient dessiné le plan de l’exposition. L’idée était de représenter l’homme sans trop de stéréotype, ni de mots clés marketing. Nous avons tourné pendant une dizaine de jours entre le studio, les défilés et les appartements privés. Le montage s’est fait en juillet.
Vous arrive-t-il de vous reposer ?
(rires) Oui ! Merci de vous inquiéter.
Et justement, une journée type de repos pour Loïc Pigent, cela se déroule comment ?
Une journée complète de repos ? Science fiction.
Vous semblez être un homme plutôt calme, et réservé. Paradoxalement, on a souvent en tête le cliché de l’excentricité pour les personnes travaillant dans la mode. Qu’en est-il vraiment ? Votre côté réservé n’est-il pas un atout majeur, dans la mesure où vous obtenez facilement la confiance de vos interlocuteurs qui parviennent à faire abstraction totale de votre caméra ?
Parfois être discret sert pour filmer sans trop se faire voir. Pour capter un moment délicat. Mais je crois que la plupart du temps je ferai mieux de piailler et qu’avec un chapeau rose à plumes on me donnerait bien plus d’accès. La mode aime les fous, bien plus que les gens réservés.
Selon vous, quelle est la tenue la plus élégante pour une femme ? Aucune idée.
Et pour un homme ?
Des Vans un peu pourries, un pantalon Ingotex, une chemise Kitsuné, une veste Old England. Aucune idée, en fait.
Et vous, toujours aussi passionné par les chemises à carreaux ?
Oui, je suis un peu obsédé, je crois. Je suis un être fascinant, je sais.
Question bonus : À quand un documentaire sur Pose Mag ?
Ça dépend. Vous êtes hystériques ?